Les images recyclées et les rumeurs suisses ne sont pas de simples anecdotes. Elles visent à fabriquer une fatalité : l’idée qu’aucun changement n’est possible.
Par la Rédaction de The Independentist
Depuis plus de quarante ans, Paul Biya dirige le Cameroun avec un mélange de silence, de spectacle et de manipulation. À l’approche des élections, le régime ne se contente pas de montrer des images flatteuses — il alimente aussi des rumeurs : que Biya se trouve en Suisse, qu’il gouverne depuis Genève, qu’il serait même mort. Ces récits sont recyclés, fabriqués et amplifiés de manière systématique. Mais les Camerounais sont de plus en plus sceptiques.
La mécanique des images et des rumeurs
À côté de la réutilisation d’anciennes photos ou vidéos, fonctionne une machine parallèle à rumeurs :
Les rumeurs suisses : lorsque Biya disparaît de la scène publique pendant un certain temps, des murmures circulent qu’il est hospitalisé en Suisse ou qu’il y séjourne pour se reposer. Certains vont jusqu’à affirmer qu’il y est décédé.
Démentis officiels : les porte-parole du gouvernement affirment régulièrement qu’il est en bonne santé, que les rumeurs sont mensongères et destinées à « déstabiliser » le pays. Parfois, ils admettent qu’il est à l’étranger, mais toujours pour nier tout problème grave.
Le silence comme carburant : l’absence de communication claire entretient les spéculations. Dans les quartiers, sur WhatsApp et à la radio, les bruits se répandent plus vite que les démentis.
Le manuel des images recyclées
La stratégie est bien rodée :
Réutiliser et réétiqueter : une photo ancienne est diffusée avec une nouvelle légende, comme si elle avait été prise la veille.
Mise en scène et cadrage sélectif : des images réelles sont recadrées ou assorties de textes trompeurs pour fabriquer une illusion.
Amplification fantôme : pages loyales, faux comptes et « journalistes » complaisants propagent le contenu jusqu’à ce qu’il paraisse authentique.
Contrôle du bruit : lorsque des doutes apparaissent, la discussion est étouffée, parfois déclarée affaire de « sécurité nationale ».
Normalisation par répétition : les mêmes images ressurgissent encore et encore, finissant par s’ancrer dans l’esprit de certains.
Études de cas de la tromperie
Le mauvais homme : une photo a circulé montrant prétendument Biya s’adressant à la nation. Elle provenait en réalité d’une autre époque et d’une autre personne.
Les fantômes de meetings passés : des clichés de rassemblements vieux de dix ans sont ressortis comme preuve d’une popularité actuelle, soigneusement recadrés pour masquer les détails compromettants.
Le contexte effacé : des images officielles montrent Biya devant une foule enthousiaste. Mais les versions non recadrées, diffusées par des témoins, révèlent de petits attroupements de fonctionnaires contraints de venir.
La rumeur suisse : après un voyage officiel, la rumeur a explosé : Biya serait mort en Suisse, ou bien hospitalisé à Genève. Des messages ont envahi les réseaux sociaux, relayés par le bouche-à-oreille.
La riposte officielle : les responsables de l’État ont rejeté ces rumeurs, jurant que Biya était vivant et actif. Ils ont admis qu’il pouvait séjourner à l’étranger, mais nié toute incapacité.
Le vide comme arme : le manque de mises à jour précises crée un espace où prospèrent rumeurs et montages. L’absence d’informations transparentes devient elle-même un outil de pouvoir.
Pourquoi ça marche — et pourquoi ça échoue
Cette stratégie fonctionne parce que les images et les rumeurs circulent plus vite que les démentis. Dans un pays où les médias d’État dominent, beaucoup n’ont accès qu’à cette version des faits.
Mais elle s’effondre face aux contre-preuves. Les jeunes urbains, la diaspora et les journalistes indépendants repèrent les réutilisations, archivent et partagent les comparaisons. En quelques heures, les réseaux s’emplissent de captures d’écran : « Cette photo date de 2011 », « Cette rumeur a déjà circulé ». Ce qui devait montrer la force devient la preuve d’un mensonge.
Préparer le terrain à la « victoire »
Les élections au Cameroun ne sont pas des compétitions, ce sont des chorégraphies. Bien avant le scrutin, il faut installer l’image d’un Biya éternel et incontestable. Les images recyclées et les rumeurs orchestrées servent à :
verrouiller l’espace médiatique avec des contenus flatteurs,
faire taire ceux qui doutent,
créer l’illusion de continuité et de stabilité.
Ainsi, lorsque la « victoire » est proclamée, elle semble aller de soi.
Le peuple n’est pas dupe
Les Camerounais se souviennent de la dernière fois qu’ils ont vu Biya. Ils remarquent quand un costume est d’une mode révolue, quand un visage paraît plus jeune que l’âge réel. Ils savent que les rumeurs de Suisse ressurgissent régulièrement, toujours suivies de démentis.
Aucune photo recadrée ne peut masquer les marchés vides, les routes dégradées, les hôpitaux sans médicaments. Aucune rumeur ne peut effacer les enterrements dans les régions anglophones.
Une victoire peut être déclarée, mais la légitimité ne se falsifie pas.
Mot de la fin
Les images recyclées et les rumeurs suisses ne sont pas de simples anecdotes. Elles visent à fabriquer une fatalité : l’idée qu’aucun changement n’est possible.
Mais le peuple n’est pas dupe. Il a appris à lire entre les pixels et les silences, à voir les décalages entre passé et présent. Et quand l’histoire rendra son verdict, ce ne seront ni les photos truquées ni les rumeurs qui survivront, mais la mémoire d’un peuple qui a refusé d’être trompé.
la Rédaction de The Independentist





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