The Independentist News Blog Editorial Symbolisme diplomatique ou théâtre stratégique ? Le virage culturel de l’Ambassadeur de France à Bamenda
Editorial

Symbolisme diplomatique ou théâtre stratégique ? Le virage culturel de l’Ambassadeur de France à Bamenda

L’Ambassadeur de France – Représentant officiel du Président de la République du Cameroun en visite officielle à Bamenda

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Ces derniers mois, le peuple d’Ambazonie a observé avec une curiosité croissante — mêlée de prudence — les apparitions publiques de l’Ambassadeur de France vêtu du costume traditionnel de la région du Nord-Ouest. Habillé en raphia, avec un sac de chasse cérémoniel, ce geste symbolique a suscité à la fois l’étonnement et des interrogations légitimes.

Pour les observateurs extérieurs, ce genre de manifestation peut paraître comme une simple marque de respect culturel. Il est courant que des diplomates s’habillent en tenues locales pour témoigner de leur proximité avec les communautés qu’ils visitent. L’Ambassadeur britannique l’a déjà fait par le passé — un geste généralement interprété à la lumière du rôle historique du Royaume-Uni en tant qu’autorité tutélaire de l’ancien territoire du Cameroun méridional sous mandat onusien.

Mais le cas de la France est fondamentalement différent, tant sur le plan historique que symbolique. La France n’a jamais administré ce territoire. Son influence s’y est exercée de manière indirecte, principalement à travers son alliance durable avec les régimes successifs de Yaoundé — une alliance que de nombreux Ambazoniens considèrent comme ayant largement contribué à la crise actuelle. Dans ce contexte, l’enthousiasme culturel soudain d’un diplomate français appelle une lecture plus attentive.

Ce revirement est-il un effort sincère de réconciliation ? Ou s’agit-il plutôt d’une stratégie de reconquête, d’une tentative de redorer une image ternie dans une région où la crédibilité française s’est fortement érodée ?

Ce qui intrigue davantage, c’est la sélectivité géographique de cette diplomatie culturelle. L’Ambassadeur de France n’a pas été vu arborant les tenues traditionnelles dans la région de l’Ouest, ni au cœur du pays Beti-Bulu, foyer de la fraternité Essingan, ni dans les régions septentrionales. Cette démonstration semble réservée à Bamenda — capitale symbolique et intellectuelle de la résistance ambazonienne. Pourquoi ici, et nulle part ailleurs ?

Les Ambazoniens sont connus pour leur hospitalité. Nous accueillons les visiteurs avec honneur et dignité. Mais notre histoire nous a appris que l’hospitalité ne doit jamais être confondue avec la naïveté. Lorsque les gestes symboliques ne sont pas suivis d’actions concrètes, la diplomatie peut rapidement devenir du théâtre stratégique.

La stratégie française envers l’Afrique au tournant du XXIe siècle — fondée sur des relations personnalisées plutôt que sur des institutions solides — s’est révélée inadéquate face aux mutations profondes de nos sociétés. Ce choix d’agir à travers des individus, souvent au détriment des institutions nationales, a aujourd’hui mis Paris dans une posture défensive.

Pire encore, ces approches sont souvent présentées avec une certaine fierté, sur la base d’un postulat erroné : celui que les Africains seraient condamnés à l’émiettement, incapables de penser ou d’agir ensemble faute de forum commun. Cette illusion s’est désormais effondrée. La providence a offert ce forum à travers les médias sociaux, les think tanks africains, les diasporas organisées et les universitaires engagés. Aujourd’hui plus que jamais, les peuples africains s’organisent pour que leurs enfants ne soient plus jamais humiliés.

Et les équilibres mondiaux changent. La direction de la migration, de l’innovation, et de la puissance démographique se tourne progressivement vers le Sud. L’Occident devra bientôt faire face à la réalité des sociétés qu’il a tenté de modeler ou de dépouiller depuis les débuts de l’humanité. Ce qui a été bâti sur l’exploitation ne pourra être reconstruit que par la vérité et la réparation.

Les Ambazoniens n’ont pas oublié les épisodes sombres du passé. De l’assassinat de Thomas Sankara à la prétendue menace d’une frappe sur Bamenda dans les années 1980 pour avoir refusé l’alignement politique imposé — ces blessures sont encore présentes. Et aujourd’hui, face à la crise humanitaire, à la répression, et à l’exil de milliers de personnes, les silences diplomatiques pèsent lourd.

Cela dit, nous reconnaissons qu’il est possible que ces gestes soient motivés par une intention sincère. Si la démarche de l’Ambassadeur de France vise réellement à ouvrir un dialogue honnête, à écouter les doléances, et à contribuer à une solution juste et durable, elle mérite d’être accueillie avec prudence mais sans rejet. Toutefois, la sincérité ne se mesure pas à l’élégance d’un costume, mais à l’intégrité des actes.

Les Ambazoniens ne dépendent plus de relais extérieurs pour raconter leur histoire. Ils n’attendent pas la validation de puissances lointaines. Ce qu’ils exigent, c’est la justice, la dignité et le droit de choisir leur avenir. Ils peuvent accueillir des partenaires, mais non des metteurs en scène.

Que ce moment soit l’occasion non pas de séances photos ou de communication superficielle, mais d’une redéfinition courageuse des relations entre nations. L’avenir exige le respect mutuel, la vérité historique, et une coopération basée sur l’égalité, non sur l’héritage du mépris.

C’est là la seule voie d’avenir.

The Independentist, Bureau de Bamenda

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