Analyse | The Independentist
Par Ali Dan Ismael
Dans la longue et complexe histoire des relations politiques franco-africaines, rares sont les tactiques qui se sont révélées aussi durables—et aussi stratégiquement trompeuses—que celle de la duplicité. En Ambazonie, cette méthode se traduit par l’installation de figures apparemment représentatives dont la véritable fonction est de calmer les observateurs internationaux tout en sapant les aspirations populaires réelles à la souveraineté.
Cette stratégie n’est nullement nouvelle. Remontant à l’ère coloniale, ce manuel français s’appuie sur la promotion de personnalités locales perçues comme coopératives ou modérées, souvent au détriment de leaders jouissant d’un soutien populaire ou de solides références nationalistes. Une fois de plus, cette approche semble se répéter.
La dernière figure dans ce schéma est le Premier ministre Joseph Dion Ngute. Bien qu’originaire du Cameroun méridional, sa nomination par le régime de Yaoundé et ses efforts de rapprochement — notamment ses visites très médiatisées à Bamenda et Buea — suivent une trajectoire familière : remplacer un véritable leadership par des alternatives plus malléables, utiliser la mise en scène pour suggérer une réconciliation, et permettre aux injustices structurelles de perdurer sans contestation.
Mais pour de nombreux Ambazoniens, le schéma est désormais évident — et de moins en moins efficace.
Muna contre Foncha – Le Premier Basculement
Après la réunification, John Ngu Foncha, fervent défenseur du fédéralisme et de l’autonomie anglophone, commence à perdre la faveur politique. À sa place, Solomon Tandeng Muna est promu — largement perçu comme plus conciliant envers l’establishment francophone dominant.
Sous la direction de Muna, la structure fédérale est progressivement démantelée. Les institutions uniques du Cameroun occidental sont absorbées dans un cadre centralisé, entraînant l’érosion de son identité juridique, culturelle et administrative.
Ce remplacement ne reflétait pas la volonté du peuple, mais une commodité géopolitique.
Achidi Achu contre Fru Ndi – Neutraliser l’Élan Démocratique
Pendant la libéralisation politique des années 1990, John Fru Ndi et le Social Democratic Front (SDF) deviennent le visage de la résistance politique anglophone. Leur popularité de masse représente une menace sérieuse pour les élites au pouvoir à Yaoundé.
En réponse, Simon Achidi Achu est nommé Premier ministre. Cette nomination est largement interprétée comme une tentative de coopter la représentation anglophone tout en conservant le contrôle depuis le centre.
Bien que prétendument inclusive, cette manœuvre ne renverse en rien la marginalisation. Elle renforce plutôt l’illusion de la participation.
Dion Ngute contre Dr Sako – Le Parallèle Contemporain
Aujourd’hui, le Dr Samuel Ikome Sako est l’une des figures les plus en vue de la quête d’autodétermination de l’Ambazonie. Son leadership repose sur une légitimité populaire, un plaidoyer international et un engagement envers la résistance non violente.
En revanche, Joseph Dion Ngute — bien que lié ethniquement à la région — n’a jamais pris publiquement position contre les abus documentés, y compris les tragédies de Ngarbuh, Muyuka et Bali. Malgré ce silence, il est promu comme une force de modération.
Les partisans du dialogue doivent interroger les faits : Dion Ngute a-t-il déjà plaidé pour les droits des Ambazoniens déplacés ? A-t-il appelé à la fin des opérations militaires dans les zones civiles ? Le schéma historique suggère que son rôle n’est pas de résoudre le conflit, mais de préserver le statu quo.
Redéfinir l’Identité : Du Cameroun Occidental à l’Ambazonie
Cette stratégie de substitution politique s’accompagne d’une manipulation géographique et sémantique. Au fil du temps :
Le Cameroun Occidental, jadis un État fédéré avec des garanties constitutionnelles, a été renommé Province de l’Ouest.
Le Cameroun méridional, doté d’institutions anglo-saxonnes et d’un héritage juridique propre, est devenu Région du Sud.
L’effacement des noms n’est pas accidentel — il est politique.
Il a fallu la vision claire de Gorji Dinka pour percer cette ambiguïté construite. En réaffirmant le nom d’Ambazonie, il a restauré à la fois l’identité et la direction d’un peuple dont l’histoire était en train d’être réécrite en temps réel.
Conclusion – Une Recette Rejetée
La France et ses alliés peuvent continuer de s’appuyer sur des recettes familières : figures régionales, mises en scène bien chorégraphiées, inclusivité symbolique. Mais le peuple ambazonien est devenu politiquement mature. Il reconnaît le schéma.
Il se souvient de Muna. Il se souvient d’Achidi Achu. Et il voit maintenant Dion Ngute sous le même angle : non pas comme un leader de la libération, mais comme un pion dans une stratégie plus vaste de contrôle.
Cette fois, la manœuvre a été démasquée. L’ère des leurres est terminée.
L’avenir de l’Ambazonie se construira sur la vérité, non sur la substitution — sur la souveraineté, non sur le symbolisme.
Ali Dan Ismael